COVID-19 : Ventes de feu et investissement étranger

Une note récente1 portant sur l’évolution économique post-COVID-19 faisait référence à un scénario de dislocation caractérisée par une reprise lente et irrégulière, d’une part, et par une tendance au déclin du commerce international2, d’autre part. L’éventualité de ce scénario porte à s’interroger sur l’évolution des bilans des entreprises.

D’ores et déjà, on peut se douter que plusieurs entreprises ne survivront pas à la crise, ou encore que leur viabilité sera lourdement hypothéquée à cause de l’hémorragie de liquidités, de la perte de clients et de marchés ou encore, parce que la réadaptation à la nouvelle réalité sera trop longue ou trop onéreuse3. À l’inverse, d’autres entreprises moins affectées et qui jouissent d’un meilleur bilan, ou d’un meilleur accès à des ressources financières, seront même en position d’acquérir les actifs physiques des entreprises fragilisées par la crise.

Quelles sont alors les options de préservation de ces actifs qui demeurent désirables sur le plan financier, mais aussi sur le plan socioéconomique ?

  • Stratégie de protection des actifs nationaux. Déjà, des fonds d’investissement spécialisés (ex. : les distressed debt funds) et autres investisseurs internationaux se préparent à des prises de contrôle ou des acquisitions « à rabais » des actifs productifs des entreprises en difficulté (pouvant aller dans des cas extrêmes aux grandes infrastructures de transport4), souvent sans égard particulier pour l’intérêt général des collectivités touchées. C’est ce dont des administrations publiques nationales sont en train de se prémunir par des actions dans le cadre de leur stratégie de réponse à la crise. Par exemple, l’Assemblée Nationale française a examiné récemment une proposition de Loi5 dans un contexte où «… les entreprises françaises cotées sont plus que jamais vulnérables face aux investisseurs étrangers, qu’ils soient des industriels concurrents, des investisseurs financiers ou des fonds dits « vautours » … ». Par ailleurs, la Commission européenne a en effet publié récemment une directive « invitant les membres de l’Union à resserrer les rangs afin de protéger les entreprises stratégiques européennes affaiblies»6. Au Canada, ce sont les interventions étrangères impliquant des actifs stratégiques (santé publique, biens et services essentiels), avec ou sans prise de contrôle, qui seront examinées plus scrupuleusement, en fonction de la Loi sur Investissement Canada7.
  • Stratégies de consolidation locale. Des PME locales faisant l’acquisition d’entreprises concurrentes ou complémentaires, prendront donc une envergure qui pourrait leur donner accès à davantage de ressources pour affronter la concurrence internationale. C’est une occasion pour certaines institutions financières d’accompagner l’émergence de nouvelles grandes entreprises, en consolidant actifs et compétences locales.
  • Stratégies de collectivisation limitée. Selon l’échelle, plusieurs stratégies sont envisageables. Il peut s’agir de reprises des actifs d’entreprises soit par leurs travailleurs (ex. : coopératives de travailleurs8), soit par diverses parties prenantes d’une même localité (ex. : coopératives de solidarité9). À l’échelle sectorielle, il peut s’agir de la mise en commun d’actifs ou de fonctions entre les entreprises d’un même secteur d’activité : parmi les exemples historiques canadiens de mutualisation, on retrouve ainsi le partage d’infrastructures de R&D dans le secteur des pâtes et papier ou encore la mise en commun de la commercialisation de denrées alimentaires telles que pour le blé dans les provinces des Prairies10 ou le sirop d’érable au Québec. Ces initiatives ont d’ailleurs généralement été mises sur pied dans la foulée de crises sectorielles ou de crises économique généralisées.
  • Stratégies de participations nationales, voire de nationalisations. La capacité de prêter de l’État n’étant pas infinie, le prolongement de la crise sur plusieurs autres mois (voire davantage) amènera l’État à envisager des options jusqu’ici assez peu discutées. Il serait ainsi possible que la poursuite du soutien financier aux entreprises soit accompagnée de conditions croissantes sur le plan de leurs activités (ex. : réorientations sur des enjeux de santé publique), de leur autonomie financière (ex. : interdiction de versement de dividendes et de rachats d’actions), allant jusqu’à des prises de participation de l’État (conversion des prêts en équité), plus ou moins permanentes et plus ou moins significatives (allant jusqu’à des positions de contrôle).

Le choc actuel révèle au grand jour que dans certaines industries (celle des produits biomédicaux étant la plus visible actuellement), l’absence de l’État dans les décisions de localisation des actifs productifs contribue à la vulnérabilité des populations et des économies locales. Pour éviter que les prochaines « ventes de feu » aboutissent sur la perte d’actifs essentiels (en termes d’usage) ou précieux (en termes de potentiel de rentabilité) sur le plan national, il serait utile de rajouter à l’agenda des plans de relance, une réflexion sur les modèles alternatifs pour le maintien et le contrôle des actifs11 productifs.

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[1] «Post COVID-19 : vers des scénarios de reprise économique», E&B DATA, 9 avril 2020.
[2] Ce déclin peut être tant volontaire (ex. : politiques de repli) qu’involontaire, par exemple lorsqu’il est associé à des mesures de protection contre des importations pouvant poser un risque sanitaire (ex. : produits agricoles).
[3] Dans certains cas, comme c’est le cas dans chaque crise, la situation présente fournira l’occasion de « nettoyer » des secteurs d’activité qui étaient déjà en situation de surcapacité ou de fragilité avant la crise sanitaire. À l’inverse, le soutien inconditionnel aux entreprises (via les politiques budgétaires et monétaires ultra-accommodantes) pourrait mener à une multiplication des firmes « zombies » (c’est-à-dire incapables de couvrir le coût du service de leur dette par leurs bénéfices sur une longue période). Celles-ci composeraient déjà entre 10 % et 25 % du nombre total d’entreprises cotées en bourse au Canada, selon une note analytique du personnel de la Banque du Canada, antérieure à la crise actuelle. «A Financial Stability Analysis of Zombie Firms in Canada», Février 2020.
[4] C’est par exemple le cas de l’administration portuaire d’Athènes, dont le contrôle a été graduellement cédé depuis 2009 au groupe de transport maritime chinois China Ocean Shipping (Cosco).
[5] «Proposition de Loi visant à protéger la souveraineté économique de la France pendant l’état d’urgence sanitaire», 7 avril 2020.
[6] La Commission est explicite : « In case of “predatory buying” of strategic assets by foreign investors (e.g. with a view to limit supply to the EU market of a certain good/service) (…) this could justify, for instance, restrictive measures necessary to ensure security of supply (for instance in the energy field) or the provision of essential public services if less restrictive measures (e.g. regulatory measures imposing public service obligations on all companies operating in certain sectors) are insufficient to address a genuine and sufficiently serious threat to a fundamental interest of society. », Guidance to the Member States concerning foreign direct investment and free movement of capital from third countries, and the protection of Europe’s strategic assets, ahead of the application of Regulation (EU) 2019/452 «(FDI Screening Regulation)», Commission européenne, 25 mars 2020.
[7] « Bien que chaque investissement continuera d’être examiné au cas par cas, le gouvernement examinera avec une attention particulière (…), les investissements étrangers directs de toute valeur, avec ou sans contrôle, dans des entreprises canadiennes qui sont liées à la santé publique ou qui participent à l’approvisionnement en biens et en services essentiels aux Canadiens ou au gouvernement. », «Énoncé de politique sur l’examen des investissements étrangers et la COVID-19, Innovation», Innovation, Sciences et Développement économique Canada, 18 avril 2020.
[8] Les coopératives de travailleurs regroupent a) les coopératives de travail (les travailleurs contrôlent l’ensemble des activités de leur entreprise) et, b) les coopératives de travailleurs-actionnaires (la coopérative – qui appartient aux travailleurs – détient une partie des actions dans l’entreprise qui emploie les travailleurs). Les coopératives de travailleurs se retrouvent dans les secteurs industriels (ex. : produits forestiers) et de services (ex.: transport). On a vu également des initiatives analogues dans les secteurs de haute technologie (ex. : recherche biomédicale).
[9] La coopérative de solidarité regroupe au sein d’une même entreprise des travailleurs, des utilisateurs (ex.: consommateurs) qui partagent des intérêts communs. On les retrouve notamment dans les services d’aide à domicile et de santé, les services professionnels, les services aux entreprises, les services de proximité (ex. : restauration, postes d’essence) ainsi que dans les arts et la culture.
[10] Il s’agit des offices de commercialisation du blé (Wheat Pools), dont plusieurs ont été mises sur place dans les provinces des Prairies durant les années qui ont suivi la Grande Dépression des années 1930, et qui ont opéré pendant plusieurs décennies par la suite.
[11] On devrait penser également à des modèles alternatifs de valorisation financière des actifs, afin de prendre en compte l’assurance que certains actifs peuvent représenter en situation de choc (ex. : réserves stratégiques).

 

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La publication mensuelle « Le Prospecteur » dresse le portrait d’un créneau industriel novateur présentant une occasion d’affaires et d’investissement au Canada.


 

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