Observe-t-on une fuite des investisseurs industriels canadiens vers l’étranger ?
Au retrait bien documenté des investisseurs étrangers au Canada se rajoute une fuite correspondante des investisseurs canadiens1: ces derniers privilégieraient donc de plus en plus les activités à l’étranger.
Flux entrants et sortants des investissements directs étrangers au Canada – 2008-2017 Base 100 (2008=100)
Source : Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement : données sur les flux d’investissements directs étrangers.
Lecture : Le graphique représente l’évolution des flux nets* des investissements directs étrangers. Suite à la crise de 2009, le flux net d’investissements canadiens à l’étranger affiche une tendance à la hausse pour reprendre le niveau d’avant la crise. Le flux net d’investissements étrangers reçus par le Canada est quant à lui en constante diminution depuis 2013 et a rejoint le niveau atteint pendant la crise financière.
* Les flux nets correspondent à la différence entre les investissements et les désinvestissements réalisés par des compagnies étrangères au Canada (flux nets entrants) ou réalisés par des compagnies canadiennes à l’étranger (flux nets sortants).
Faut-il s’en inquiéter ? S’agit-il seulement de mouvements de capitaux ayant peu d’incidence directe sur les capacités productives ? Est-ce que les investissements canadiens à l’étranger vont se stabiliser au niveau « normal » d’avant la crise financière, ou bien s’agit-il plutôt d’une étape dans un véritable mouvement de délocalisation de projets industriels à l’étranger, au détriment du Canada ?
Rien d’alarmant… à première vue
Il est utile de faire ici la distinction entre les investissements lourds, d’une part, et les investissements mobiles (« footloose »), d’autre part. Une fois établis, les premiers sont liés à moyen et long termes à un facteur local de production (ex. : disponibilité de ressources naturelles). Les seconds, davantage associés à la fabrication légère et moyenne, sont beaucoup plus susceptibles a) d’implanter de nouvelles capacités de production dans les marchés et les juridictions nationales offrant les meilleures conditions en termes de coûts de production, de contexte réglementaire et de fiscalité – et b) de relocaliser à nouveau ces capacités au gré des variations de ces conditions.
Dans l’ensemble, sur des projets d’investissements industriels d’origine canadienne à l’étranger d’une valeur de 5 milliards $ US en 2017-20182, moins de 25 % de cette valeur3 est destinée aux secteurs de fabrication légère et moyenne. Ces investissements mobiles se concentrent dans le secteur du matériel de transport et activités associées, qu’il s’agisse d’aéronautique (ex. : Magellan, Flying Colours), de l’automobile (ex. : Magna), ou autre matériel roulant (ex. : BPR, Camso).
À l’inverse, c’est plus de 75 % de la valeur de projets canadiens d’investissement industriels à l’étranger4 qui est associé aux secteurs de ressources naturelles, qu’il s’agisse :
de mines (ex. : zinc, or, niobium),
d’hydrocarbures (ex. : pétrole, méthanol),
de produits forestiers (ex. : bois d’œuvre),
de projet d’énergies renouvelables (plus de 400 MW en nouveaux projets, surtout dans le domaine solaire).
La présence locale des ressources à l’étranger constitue bien sûr un facteur de localisation critique, et explique certainement une grande part du choix des investisseurs canadiens.
Course au moins-disant fiscal et environnemental ?
Fixe une fois établi, l’investissement lourd est cependant mobile au moment de la décision relative à l’implantation initiale. Se pourrait-il que l’écart sur le plan des exigences environnementales défavorise le Canada ? On observe en effet une part importante de projets canadiens de ressources naturelles en Turquie, au Congo, en Indonésie et autres pays où les standards environnementaux sont moins élevés5. L’enjeu se pose même avec le voisin du sud, qui a attiré plus de la moitié de la valeur des investissements industriels canadiens dans les secteurs de ressources à l’étranger6. Une part de ce choix de site est sans doute attribuable à la réforme fiscale américaine et l’on peut espérer que les nouveaux incitatifs fiscaux annoncés en novembre par le gouvernement canadien à l’attention des entreprises canadiennes atténueront l’attrait américain. Mais ces incitatifs fiscaux seront-ils suffisants dans un contexte d’une déréglementation environnementale aux États-Unis, à la fois étendue et rapide7 ?
Dans cette course au moins-disant, quelle sera la prochaine étape ? Pour l’instant, les investisseurs canadiens sont loin d’avoir jeté la serviette quant au climat d’investissement au Canada, comme en témoignent les quelque 50 milliards $ CAN8 de projets industriels qui y ont été annoncés depuis le début de 2017.
Il est encore trop tôt pour parler d’exode.
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[1] Voir : United Nations Conference on Trade and Development – World Investment Report 2018, page 184.
Aussi: Fraser Institute The Flight of Capital From Canada, 2018↑ [2] Dans cette note, les analyses couvrent la période janvier 2017 à octobre 2018 ↑ [3] Source : E&B DATA, à partir de la base Industries & Stratégies de Trendeo, Paris. Compilation de projets d’immobilisation ayant fait l’objet d’annonces publiques dans les médias locaux.↑ [4] Voir note 3↑ [5] Voir: Environmental Performance Index, produit de façon conjointe par les universités Yale et Columbia en collaboration avec le Forum Économique Mondial. ↑ [6] Voir note 3↑ [7] Voir entre autres : le Regulatory Rollback Tracker↑de la Harvard Law School [8] Source : Capex-en-ligne, E&B DATA. Valeur de projets d’investissement d’origine canadienne annoncés au Canada. ↑