La fin des usines de classe mondiale ?

La course aux installations industrielles toujours plus grandes et plus modernes va-t-elle s’arrêter un jour ? Au Canada en tout cas, il semble bien que oui, où près de 120 projets d’investissement d’une valeur dépassant 1 milliard $ ont été abandonnés en 2016 ou sont à risque de l’être1. Dans un contexte de croissance et de mondialisation accrue, la recherche d’économies d’échelle maximales combinée aux technologies les plus avancées constituait la voie privilégiée vers la rentabilité : les nouvelles unités de production, les plus grandes et les plus modernes, étaient donc la voie de l’avenir.

Face à une demande qui n’est pas au rendez-vous, la course aux investissements massifs des dernières années laisse derrière elle une surcapacité de production mondiale qui persiste entre autres dans les industries de l’acier, de l’aluminium, du ciment et du verre, pour ne mentionner que celles-là. Ces décisions d’investissement étaient-elles de mauvais paris? En fait, les grandes unités de production complétées récemment sont moins à risque que les usines plus petites et dont les systèmes de production sont plus anciens et moins compétitifs. Les réinvestissements dans ces usines plus anciennes sont en effet de plus en plus difficiles à justifier dans un contexte de prix qui demeureront vraisemblablement amorphes… au moins autant que persistera cet excès de l’offre sur la demande. La désaffection de ces usines est-elle donc inévitable ? En tout cas, même si les fermetures d’usines demeurent rares jusqu’ici, la vague de projets d’expansions substantielles au Canada est bel et bien arrêtée2.

Le cas de l’aluminium

Après des années d’investissements massifs, le paysage productif a changé sur le plan international et les leaders d’hier tirent maintenant de l’arrière.

C’est le cas de l’industrie de l’aluminium. Alors que la Chine n’abritait que 11% de la capacité mondiale en 2000, c’est 55 % de la capacité de production mondiale qui y est désormais située3.On y trouve maintenant la plus grande aluminerie au monde, celle de Tongshuan Aluminium Smelter, dont la capacité de production est trois fois plus élevée que celle de l’Aluminerie Alouette, pourtant la plus grande aluminerie des Amériques4.Le processus de rajeunissement du parc productif (fermeture des unités de production les moins efficaces, inauguration des nouvelles unités de production) est d’ailleurs bien présent à l’intérieur même du pays5, ce qui a permis à l’ensemble de l’industrie chinoise de devenir plus efficace que celle des autres régions productrices dans le monde6, incluant le Canada.

À quand le retour des industries stratégiques ?

Cette situation se retrouve dans d’autres industries7. La Chine a-t-elle donc gagné la guerre industrielle ? Les jeux ne sont pas encore faits, mais il faut reconnaître que l’envergure des projets industriels canadiens décroit. Cette réduction des ambitions semble prudente mais n’assure pas que les mégaproducteurs étrangers, aux coûts toujours plus bas, ne viendront pas battre les producteurs canadiens sur leur propre terrain. Il serait malheureux de voir des industries stratégiques disparaître d’Amérique du Nord en laissant faire les « forces du marché », au moment même où les tensions géopolitiques atteignent des sommets inégalés depuis la fin de la guerre froide.

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[1] La bulle n’éclate pas… mais elle se dégonfle. Perspectives Mégaprojets, E&B DATA, février 2017.
[2] À titre d’exemple, dans les secteurs des mines et métaux, près de 100 milliards $ de mégaprojets sont fortement à risque de ne pas voir le jour. Source : Ibid.
[3] World Aluminium. Primary Aluminium Production. Page consultée le 22 février 2017.
[4] Capacité de production de 1,9 million de tonnes annuellement pour l’aluminerie de Tongshuan Aluminium Smelter, alors que celle d’Aluminerie Alouette est de 610 000 tonnes. Source : Light Metal Age. Primary Producers. Page consultée le 22 février 2017. D’autres sources indiquent même une capacité supérieure pour l’aluminerie chinoise.
[5] En 2016, la Chine fermait des capacités totalisant 4,9 millions de tonnes mais ajoutait des capacités de production de 7 millions de tonne. Source : S&B Global Platts, China to add 7 mil mt/year aluminum smelting capacity in 2016, but usage depends on power costs. Publié le 5 janvier 2016. Page consultee le 24 février 2017.
[6] Intensité énergétique d’environ 12 900 kWh/tonne, alors que la moyenne mondiale est légèrement supérieure à 13 400 kWh/tonne. Source : International Aluminium Institute, dans Metal Bulletin. LME WEEK 2016: China is the most efficient aluminium producer nation. Publié le 31 octobre 2016. Page consultée le 22 février 2017.
[7] « (…) much quiet modernisation “has been masked [in China] in many industries by overcapacity”. For instance, little of the fertilizer industry’s capacity used advanced technologies in 2011; most of the new capacity added since then has been the modern sort that is 40% cheaper to operate. Baosteel Group […] [has] built a gargantuan new complex in Guangdong province with nearly 9m tonnes of capacity. This highly efficient facility has cutting-edge green technologies that greatly reduce emissions of sulphur dioxide and nitrogen oxides, recycle waste gas from blast furnaces and reuse almost all waste water. » Source : The Economist. The march of the zombies. Publié le 27 février 2017. Page consultée le 28 février 2017.

 

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