Politique publique et création de richesse: attention à ne pas court-circuiter nos industries – Impacts possibles de certaines mesures budgétaires sur les industries Grandes Consommatrices d’Électricité

Devant la faiblesse persistante de la demande au niveau international, les actifs productifs existants (les « stocks ») prennent une nouvelle importance dans la santé d’une économie et dans les revenus des administrations publiques. L’emphase excessive sur la croissance (les « flux ») à court terme et en particulier sur la stimulation des dépenses d’investissement, pourrait avoir un effet contraire à celui désiré en nuisant à la compétitivité des actifs productifs existants.

Un patrimoine industriel productif et rentable pour le gouvernement du Québec

L’activité des 60 à 70 établissements industriels Grands Consommateurs d’Électricité (GCE)1 contribue entre 2% et 4%2 des revenus autonomes du gouvernement du Québec. Cependant, ces établissements sont vieillissants comparativement aux nouvelles capacités des pays émergents. L’âge moyen des établissements industriels Grands Consommateurs d’Électricité est en effet de 50 ans au Québec alors qu’il ne peut être que considérablement inférieur3 chez les nombreux pays producteurs qui sont des nouveaux venus dans la production de matières dont la production est énergivore4. Bien sûr le parc d’équipement québécois a été graduellement modernisé au cours des années, mais les établissements construits il y a plusieurs dizaines d’années subissent fréquemment des contraintes dues à leur conception ancienne ou à des localisations qui ne sont plus optimales.

Ce que le gouvernement du Québec compte gagner en hausse de revenus de vente d’électricité consécutive à une hausse du tarif L (Grande puissance), il risque de le perdre – et davantage même – en contribuant à l’érosion des industries Grandes Consommatrices d’Électricité et des revenus fiscaux attribuables à leur présence.

Incitatifs aux investissements pour de nouvelles capacités : peu efficaces dans le contexte actuel (court et moyen termes)

Bien qu’il soit souhaitable en principe de voir à l’augmentation nette du stock productif des industries Grandes Consommatrices d’Électricité, il faut veiller en priorité à protéger le stock productif existant. Les perspectives d’augmentation nette de capacité sont en effet au plus bas pour des raisons bien connues : le ralentissement de la croissance de la demande mondiale, la baisse du prix des matières premières et la présence de surcapacités mondiales (alimentées par le démarrage de nouvelles capacités modernes hors Québec). Ce n’est en effet pas un hasard si la réalisation de plus de 20 milliards $ de grands projets industriels annoncés au Québec au cours des dernières années est à toutes fins pratiques en suspens5.

Or, les nouvelles mesures budgétaires sont orientées sur le soutien à l’investissement et plus spécifiquement à l’expansion de capacité, qu’il s’agisse de soutien tarifaire correspondant à de « nouvelles charges » (Tarif de développement économique)6 ou de congés fiscaux bonifiés visant notamment « à attirer de nouveaux investissements étrangers »7. Les industries Grandes Consommatrices d’Électricité qui augmentent leur capacité de production (et les nouvelles entreprises) obtiendront donc des avantages marqués (réduction tarifaire combinée à un congé fiscal).

Ces mesures orientent donc l’industrie vers une augmentation de capacité alors que la demande est au ralenti, avec le risque dans certains des cas de nuire à des capacités de production existantes pour des catégories de produits déjà fabriqués au Québec (ex. : ciment) et pour lesquels les marchés locaux sont significatifs. L’emphase sur les nouvelles capacités risque donc de nuire activement à la compétitivité des actifs productifs déjà en place.

Que faire ?

L’impact positif sur le PIB à court terme (généré par les activités d’investissement) risque d’être suivi par une baisse de l’activité et de l’emploi des établissements dont la compétitivité sera ainsi réduite.

Certains espèrent qu’avec un taux de change plus avantageux vis-à-vis la devise américaine8, la valeur des exportations qui sont destinées aux États-Unis augmentera alors automatiquement. Les revenus accrus pour les entreprises exportatrices pourraient donc compenser en quelque sorte la hausse de leur facture d’électricité. On ne saurait cependant compter sur cet avantage de taux de change pour assurer la compétitivité de l’industrie domestique :

• La dépréciation avec le $ US n’est pas spécifique à la devise canadienne ; c’est le cas notamment pour la devise chinoise dont la valeur se réduit graduellement par rapport au $ US9.

• Plusieurs pays augmentent leur part du marché US alors que celle du Canada a glissé de 19% en 2000 à 15% en 201410.

Dès lors, il n’y a pas de raison de croire que les exportations canadiennes (et québécoises) suivront nécessairement le même rythme que celui de l’économie américaine. Il ne semble donc rester que l’investissement pour stimuler la croissance.

Bien que certains projets d’investissement demeurent possibles et souhaitables au Québec pour répondre à des opportunités ponctuelles11, le plafonnement de la capacité totale de production des GCE au Québec constitue le scénario le plus probable d’ici 2020. La priorité devrait donc être mise sur le maintien et surtout l’amélioration de la compétitivité des actifs industriels existants, sans l’exigence d’une augmentation de capacité.

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Cette note économique a également été publiée dans L’Énergique (Printemps 2015 – Volume 9, Numéro 1), bulletin d’information de l’AQCIE – Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité.

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[1] La gamme des produits fabriqués au Québec par les GCE est diversifiée et comprend notamment les métaux ferreux et non-ferreux, les minéraux non métalliques, les produits chimiques, les pâtes et papier et les produits raffinés du pétrole. Le nombre d’établissements indiqué ne tient pas compte des activités d’extraction minière. La facture d’électricité représente entre 25% et 80% des coûts directs de production pour les GCE.
[2] Estimation E&B DATA.
[3] Donnée pour le Québec : E&B DATA. Aucune source de données ne permet une comparaison systématique entre l’âge des parcs d’équipements industriels des différents pays, mais il est permis de penser que l’âge des parcs d’équipements des économies émergentes est plus récent et plus productif que ceux des pays dont l’industrialisation est plus ancienne.
[4] À noter que les concurrents étrangers des producteurs québécois bénéficient souvent de tarifs d’électricité nettement inférieurs qu’au Québec. Ces politiques tarifaires reflètent souvent le désir des États de capturer les effets économiques structurants associés aux industries énergivores.
[5] E&B DATA, Capex-en-ligne, 2015.
[6] Plan économique du Québec – Mars 2015 – Section B. « Le tarif de développement économique consiste en une réduction tarifaire de 20% par rapport au tarif régulier applicable ».
[7] Ibid. Le congé fiscal porte sur l’impôt sur le revenu ainsi que sur la cotisation de l’employeur au Fonds des services de santé, et ce pour une période de quinze ans.
[8] Rappelons que les exportations québécoises continuent à être largement destinées vers le marché américain (près de 70%). Source : Industrie Canada, à partir de Statistique Canada.
[9] Board of Governors of the Federal Reserve System. G.5 Statistical release.
[10] Part des importations américaines. Sources : Industrie Canada, Statistique Canada, US Census Bureau.
[11] Exemple : Nouveaux produits pas encore fabriqués au Québec.

 
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